Saint Nicolas à Guebwiller
Le cinq décembre au soir, veille de la Saint-Nicolas, est pour les enfants d’Alsace un moment particulier, attendu avec une impatience souvent mêlée de crainte, selon qu’ils aient été bien gentils ou désobéissants pendant l’année écoulée.
D’r Santi Kloïs[1] est le patron des écoliers, et à ce titre il vient leur rendre visite le soir qui précède sa fête sur le calendrier.
De nos jours, Santi Kloïs commence sa tournée par les écoles maternelles et primaires. Pour préparer sa venue, les enfants ont appris une chanson ou une récitation dont il est le héros et qu’ils chanteront ou diront en son honneur au moment de son passage. Souvent, les élèves préparent aussi chacun un bricolage, par exemple une petite corbeille à son effigie dans laquelle ils trouveront quelques sucreries, ou bien un petit Saint Nicolas de papier ou de feutrine qui pourra être accroché au sapin de Noël…
Lorsqu’il visite les écoles, le Saint Nicolas arrive généralement en calèche, ou plus rarement sur son âne. Enveloppé dans sa houppelande et coiffé de sa mitre, il tient à la main sa grande canne surmontée d’une crosse : n’oublions pas que de son vivant, ce saint était évêque de Myre… Alors qu’on devine un sourire sous sa barbe blanche, il écoute avec bienveillance les enfants qui récitent ou chantent un petit compliment, puis il félicite les bons élèves et distribue à tous chocolats, pains d’épices et clémentines. A part le conducteur de la calèche, personne ne vient généralement avec lui dans les écoles.
Mais le soir venu, pour sa visite dans les familles, il est accompagné d’un personnage beaucoup plus inquiétant : le Père Fouettard, qui en Alsace se nomme Hans Trapp
Dans mon enfance, Saint Nicolas n’avait pas encore l’habitude de venir rencontrer les élèves comme il le fait maintenant dans les écoles d’Alsace : nous trouvions simplement les pains d’épices, chocolats et clémentines sur nos pupitres au retour de la récréation, car ils avaient été distribués pendant les quelques minutes où nous jouions dans la cour. Récitations ou chansons étaient exécutées en chœur par toute la classe en son honneur : nous étions certains qu’il nous voyait et nous entendait de là où il était déjà reparti…
A la fin de la journée d’école, nous rentrions à la maison comme d’habitude, mais ce jour-là il était de tradition dans les familles alsaciennes d’attendre le passage du Santi Kloïs autour d’un goûter de fête : nous mangions des Mannala en dégustant un bon chocolat chaud. Pour cette occasion, ma tanteRig savait même le préparer « à l’ancienne » : si je me souviens bien de ses explications, elle faisait fondre toute une tablette de chocolat noir dans un pichet de lait bouillant additionné de sucre et d’un peu de cannelle, puis elle mélangeait cela énergiquement à la main avec le fouet métallique. Le chocolat chaud devenait alors bien mousseux. Ça sentait bon dans toute la maison et c’était un vrai régal.
Tout en dégustant cette collation, chacun tendait l’oreille pour essayer d’entendre à l’extérieur le tintement de la clochette qui annonçait l’arrivée du saint homme…
Subitement, la porte s’ouvrait avec brusquerie et surgissait avec fracas un personnage sombre que les enfants n’osaient pas trop regarder : muni d’un grand fouet de branchages, c’était Hans Trapp, le Père Fouettard dont tant de parents prédisaient la venue tout au long de l’année à ceux qui désobéissaient ! Hans Trapp était à la recherche des méchants enfants pour les emporter dans son grand sac qui semblait agité de soubresauts…
Enfin, quand les enfants les moins sages, qui n’avaient pas du tout la conscience tranquille, étaient à la limite de trembler de peur, la porte s’ouvrait à nouveau : c’était le Grand Saint Nicolas qui arrivait pour les sauver ! Le saint homme calmait son acolyte, tout en faisant promettre aux enfants désobéissants qu’ils seraient dorénavant sages comme des images, sinon l’an prochain il ne pourrait peut-être pas empêcher Hans Trapp d’enlever les petits sacripants à la douceur du nid familial.
Ensuite venait la distribution de douceurs, chocolats, pains d’épices et sucreries pour les bons élèves et les enfants sages. Mais les cancres et les vilains ne recevaient qu’un petit fouet décoré de quelques étoiles chocolatées en sucre et quelques morceaux de Baradrack - il paraît même que parfois ceux qui avaient été vraiment très méchants recevaient seulement de véritables morceaux de charbon, ainsi qu’un vrai fouet ou même un martinet aux menaçantes lanières de cuir… D’r Santi Kloïs donnait aussi des noix et des clémentines pour toute la famille.
Chaque enfant remerciait en interprétant un poème, une comptine ou une chanson. Souvent, la maman servait aussi au Santi Kloïs un café avec un petit verre de schnaps (ou un verre de vin chaud) et on n’oubliait pas de lui donner aussi une carotte et quelques morceaux de sucre pour son âne qui attendait dehors.
Après cela, Santi Kloïs et Hans Trapp continuaient leur tournée dans le soir tombant, après que les enfants aient promis une nouvelle fois d’être bien sages dorénavant.
Ce n’est pas pour me vanter, mais il faut reconnaître que je ne me souviens pas d’avoir reçu la visite du Père Fouettard. En effet, j’avais de bons résultats scolaires et Saint Nicolas, qui venait chez nous seul, me faisait juste promettre de faire des efforts pour être moins insolente, moins bavarde, et d’arriver désormais à l’heure à l’école…
[1] D’r Santi Kloïs : (alsacien) le Saint-Nicolas
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