Wednesday, April 18, 2007

Pouvoir de la parole : des mots qui font mal (2)




Continuant cette série sur les mots qui blessent, je vais maintenant vous parler des remarques désobligeantes sur le poids et les normes physiques imposées par la mode . Justement, Annie évoquait la question en commentaire à mon précédent message...  

Parlons d'une adolescente qui n'est pas trop maigre, sans plus, dans les années soixante.

Vers l'âge de dix-onze ans, dans sa classe de CM1 où il n'y avait que des filles (l'école n'était pas mixte avant la 6e à cette époque-là), les filles guettaient l'apparition de petites rondeurs au niveau de la poitrine, rentrant le ventre et bombant le torse (certaines mettaient même des mouchoirs aux endroits stratégiques, pensant donner ainsi l'illusion d'une poitrine naissante). A cette époque, elle est très fière de voir ces rondeurs tant attendues apparaître, trop lentement à son gré. elle n'est pas très sportive, mais sa silhouette se situe dans une bonne moyenne à une époque où l'idéal féminin est encore plus près des pulpeuses Marylin Monroe ou Gina Lollobrigida que des Jane Birkin ou autres égéries de la fin des sixties. Aucune raison donc de complexer au sujet de sa silhouette.

Arrive l'entrée en sixième. Cet été-là, les panties sont à la mode, c'est particulièrement "in" de laisser dépasser quelques millimètres de dentelle sur des jambes qui se dévoilent avec la longueur des jupes qui raccourcit (c'est bientôt la minijupe). Comme elle est heureuse de son mignon panty blanc à plumetis marine que sa mère lui a offert en même temps que son premier soutien-gorge (du 75B, juste histoire de dire qu'on porte enfin ce symbole de féminité qui fait presque de vous une femme...).

Mais c'est aussi l'époque où elle entend les premières moqueries sur sa silhouette précocément semblable à celle d'une jeune femme... Les filles de son âge qui sont encore plus près physiquement de la fillette que de la jeune fille font chorus avec les garçons de la classe, pour la surnommer"Taillefine Gervais" (c'était la marque de fromages blancs et autres yaourts pour les femmes qui à l'époque faisaient attention à leur ligne).

Comem l'histoire se passe en Alsace, il y a aussi un autre surnom qu'il va falloir que je vous explique "DMC" = "Dedla Meler Concentré"... vous connaissez sans doute la marque des fils à coudre et à broder DMC (Dolfüss Mieg et Cie) fabriqués dans la région mulhousienne, mais ici ces initiales ont été moqueusement transformées en Dedla Meler Concentré, sachant que les Dedla sont en alsacien les seins, le Meler étant le lait,cela vous donne le surnom peu flatteur de "lait maternel concentré", en référence à cette poitrine avantageuse qui donne à notre héroïne des airs de mini-Lollobrigida...

Il y a aussi le surnom de "Régilait", en référence à la pub télévisée stupide où l'on voit une personne souffrant d'un fort embonpoint s'asseyant au bord d'un banc que son poids va faire renverser... 

C'était les surnoms les plus originaux, parmi toutes les moqueries entendues depuis l'adolescence sur une silhouette plutôt ronde.

Pour la petite histoire, sachez quand même qu'entre-temps le Dedla Meler Concentré a nourri six enfants et fourni aussi de nombreux litres de laits au lactarium régional quand notre héroïne est devenue maman quelques années plus tard ! Au moins ce surnom-là était-il en quelque sorte prémonitoire.

Ensuite, il y eut pendant un peu moins qu'une quinzaine d'années un mari qui appelait affectueusement sa moitié "ma grosse"...

Il y a aussi eu les camarades des enfants qui disaient à titre de moquerie "ta mère, elle est grosse !" (c'étaient d'ailleurs souvent, détail étonnant, des enfants qui  avaient eux aussi une maman devenue obèse à force de maternités...).

Maintenant nous en arrivons déjà aux petits-enfants qui à leur tour commenceront à faire le même genre de remarques. L'inconsciente méchanceté (ou la méchante inconscience ?) enfantine ne change pas d'une génération à l'autre, O tempora, o mores ! 

Il y a le regard chargé de commisération et de moquerie des vendeuses de prêt-à-porter qui vous évaluent dès votre entrée dans la boutique et finiront par vous dire d'un air de triomphe "Nous ne faisons pas votre taille, nous n'avons que jusqu'au 46 en magasin". A force d'entendre de telles gentillesses, il arrive maintenant qu'une petite vengeance de notre héroïne accompagnée de jeunes femmes de sa famille elles aussi "enrobées" soit de sortir du magasin en disant "Pff, de toute façon il n'y a ici que des habits pour des grenouilles anorexiques !" (après tout, qui sème le vent récolte la tempête, na c'est bien fait cette fois-ci pour les vilaines vendeuses maigrichonnes !).
   
Il y a, pour finir ce petit tour de la question des paroles méchantes sur l'obésité, le manque de tact évident d'un ami cher, thérapeute en médecine parallèle, qui veut s'obstiner à aider notre héroïne à maigrir en lui conseillant toutes sortes de tisanes, gélules et autres traitemenst draineurs, car il fait aussi partie de cette cohorte de gens qui s'attachent aux apparences, encore et toujours... Au lieu de constater la vingtaine de  kilos perdus suite à un régime et une discipline de vie (genre "manger-bouger.com, lol), pourquoi employer des mots qui blessent et font à nouveau grimper l'aiguille de la balance du mauvais côté des kilos fatidiques !

No comments: